Contemporain

Chanson douce

Aucunement besoin de présenter Leïla Slimani, et son prix Goncourt gagné en 2016, avec Chanson Douce. Inspirée de faits réels, cette histoire saisissante et percutante fait froid dans le dos… Un roman captivant, violent qui devient entièrement terrifiant !


Chanson douce
Chanson douce, de Leïla Slimani
Collection Blanche, Gallimard Parution | Août 2016
240 pages  

 Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d’un cabinet d’avocats, le couple se met à la recherche d’une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l’affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu’au drame.
À travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c’est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l’amour et de l’éducation, des rapports de domination et d’argent, des préjugés de classe ou de culture. Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.


Ici, seulement des faits. Leïla Slimani décrit plus qu’elle ne juge. Dès les premières pages, on se sent happé par cette histoire glaçante qui débute sur la fin inévitable : la nourrice tue les enfants puis tente de mettre fin à ses jours. On sait ce qui est arrivé, mais on ne sait pas pourquoi et comment tout a basculé. L’auteure va donc tout au long du roman, nous « éclairer » ou du moins tenter de le faire grâce au portrait psychologique de Louise. Même si le couple, Myriam et Paul, ne sont pas en reste. L’écriture simple et efficace de l’auteure va droit à l’essentiel et contraste avec l’atmosphère étouffante qui s’installe dans le roman que l’on dévore afin d’en savoir toujours plus. Pour ma part, je l’ai lu d’une traite. Impossible de le lâcher et en même temps j’avais l’envie d’en finir, et de stopper ces scènes malsaines auxquelles on assiste malheureusement impuissant.

« Ce jour-là, après la sieste, elle a ouvert les volets. Et c’est là qu’elle l’a entendu. La plupart des gens vivent sans jamais avoir entendu des cris pareils. Ce sont des cris qu’on pousse à la guerre, dans les tranchées, dans d’autres mondes, sur d’autres continents. Ça a duré au moins dix minutes, ce cri, poussé presque d’une traite, sans souffle et sans mots. »

Angoissant, ce roman surprend par les réflexions qu’il entraîne, notamment sur les différences des classes sociales et culturelles, la place de la mère dans la société et la pression exercée sur celles qui souhaitent s’épanouir en dehors de leur maison. Comme Myriam qui a d’abord des réticences à confier ses enfants, mais qui se sent enfermée dans le rôle de maman au foyer. Il est aussi question de dépendance affective, d’éducation, de souffrance psychologique. L’auteure fait preuve d’une maîtrise, tant au niveau de l’analyse des protagonistes que des rapports qui s’établissent entre eux. Elle dresse avec brio le malaise au fil des scènes de flash-back et des faits quotidiens, pour nous amener au cœur de la psychologie agitée du personnage principal.

« Elle a toujours refusé l’idée que ses enfants puissent être une entrave à sa réussite, à sa liberté. Comme une ancre qui entraîne vers le fond, qui tire le visage du noyé dans la boue. Cette prise de conscience l’a plongé au début dans une profonde tristesse. Elle trouvait cela injuste, terriblement frustrant. Elle s’était rendu compte qu’elle ne pourrait plus jamais vivre sans avoir le sentiment d’être incomplète, de faire mal les choses, de sacrifier un pan de sa vie au profit de l’autre. »

Multi-tâches, Louise, discrète et un peu mystérieuse, va vite gagner l’affection des enfants et se rendre complètement indispensable aux yeux des parents débordés. Au fur et à mesure, une dépendance va s’installer mutuellement. A tel point que Louise, en mal d’amour et fragile psychologiquement, ne va vivre qu’à travers cette famille dont elle souhaite faire partie intégrante. On observe impuissant à cet « amour », mélange de haine et de jalousie. La vie de Louise se résume à son métier, sa vie privée est totalement inexistante ; un  mari décédé, une fille qui a quitté très tôt le foyer pour fuir sa mère, son propriétaire qui ne l’apprécie pas, ses anciens employeurs. On n’a pas vraiment de raisons distinctes, mais on ressent tellement la tristesse et le sentiment d’abandon que ressent Louise. On voit l’horreur et la folie arrivés petit à petit, avec des indices parsemés : des gestes qui d’un coup deviennent gênants, des jeux un peu trop violents, des histoires et des contes non adaptés. Le récit poignant et marquant fait ressortir le mal-être de Louise ; jusqu’au point de non-retour.

« Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses lèvres qui ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Elle a le regard d’une femme qui peut tout entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses. »

J’ai refermé le livre en m’interrogeant, perdue dans mes réflexions. Qu’aurais-je fait à la place des parents ? Serais-je intervenue plus tôt ? Aurais-je évité le drame ? Un roman qui ne peut laisser indifférent. Je pense qu’il me marquera longtemps, tant un sentiment de malaise s’en insinué en moi. J’ai peut-être une petite frustration pour le dénouement qui me laisse un peu sur ma faim, il y a comme un goût d’inachevé. On ne sait rien de « l’après », c’est-à-dire des aboutissements de l’enquête, des suites de la justice, de l’avenir des parents… Avec les pistes implicites sur la personnalité dépressive et malade de Louise, Leïla Slimani nous narre la descente de cette dernière pour des raisons que j’ai pris comme de l’exclusion sociale, de psychopathie, de personnalité déséquilibrée. Cela est déroutant et j’ai eu du mal à comprendre « ses motivations » et son geste.

« Dans son petit carnet à la couverture fleurie, elle a noté le terme qu’a utilisé un médecin de l’hôpital Henri-Mondor. « Mélancolie délirante ». Louise avait trouvé ça beau et dans sa tristesse s’était subitement introduite une touche de poésie, une évasion. »

Note : 4 sur 5.

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