Ce premier roman écrit à quatre mains est une très belle découverte. Avec un fond de racisme et d’intolérance, on se plonge au cœur de l’Amérique des années 60 où se mélangent les préjugés et l’incompréhension. Ce livre est rempli d’une délicatesse qu’on ne soupçonne pas, malgré un sujet très fort faisant encore parti de notre actualité, au vu des mentalités qui ont beaucoup de mal à évoluer.

Cherche Midi | Août 2020
384 pages
∇ Meurtres en Alabama. Birmingham, Alabama, 1963. Le corps sans vie d’une fillette noire est retrouvé. La police s’en préoccupe de loin. Mais voilà que d’autres petites filles noires disparaissent… Bud Larkin, détective privé bougon, alcoolique et raciste, accepte d’enquêter pour le père de la première victime. Adela Cobb, femme de ménage noire, jeune veuve et mère de famille, s’interroge : « Les petites filles, ça disparaît pas comme ça… » Deux êtres que tout oppose.
A priori. Sous des airs de polar américain, Alabama 1963 est avant tout une plongée captivante dans les Etats-Unis des années 1960, sur fond de ségrégation, de Ku Klux Klan et d’assassinat de Kennedy. ∇
Même si l’enquête met du temps à démarrer on ne peut qu’être absorbé par l’histoire. L’intrigue est bien trouvée, on immerge dans cette année 1963, dans la vie de familles noires, victimes de violence de cette Amérique raciste et d’une existence de ségrégation. Entre Histoire et fiction, on retrouve des évènements forts comme l’assassinat de Kennedy, le mouvement des droits civiques des afro-américains, le début de la résistance avec Rosa Parks, le discours de M.L. King. On ressent toutes les injustices et les difficultés d’être noir en Alabama à cette époque.
« -Vous préférez qu’on dise de vous que vous êtes une femme noire ou que vous êtes une femme de couleur ?
-Je préfère qu’on dise que je suis une femme bien. »
Malgré l’environnement de cette période, le texte est tout en légèreté et humour (cela est bien amené et est appréciable) grâce aux deux personnages que tout oppose. Les meurtres des petites filles vont rapprocher Bud, un détective blanc et une domestique noire, Adela. Ce duo improbable et haut en couleur se complète merveilleusement bien. Attachants, ils grandissent, évoluent et se révoltent ensemble. Grâce à leur complicité, ils redonnent espoir et nous questionnent, puisque cela fait écho à l’actualité de ces derniers mois. Cela donne à réfléchir et apporte une touche d’humanité.
« Si c’est pas malheureux de voir ça. Des blancs qui traînent avec des négresses !
– Mais je vous emmerde, Monsieur. »
Le vieil homme en resta pantois. De même qu’Adela. Bud et elle poursuivirent leur chemin. Plus loin, Adela se mit à rire.
« Quoi ? » fit Bud.
Elle le regarda et se remit à rire.
« Quoi ? J’ai été poli, j’ai dit ´monsieur’. »
J’ai beaucoup aimé la mise en avant des mentalités de l’époque. Bud, par exemple, est raciste parce qu’il vit dans une société qui lui dicte ce comportement. Ou bien la Canadienne qui ne vient pas d’une société raciste et qui ne comprend pas cette mentalité et ces exclusions faites par l’Etat.
« J’ai vu « White Only » écrit sur une laverie tout à l’heure, alors j’y ai mis mon linge blanc, et ça fait une demi-heure que j’en cherchais une pour la couleur… »
Même si ce livre est considéré comme un polar, je trouve que le suspense n’est pas très présent. Je me suis très vite doutée de l’identité du coupable. J’ai plus l’impression qu’il s’agit de pointer du doigt le contexte difficile et le combat quotidien des afro-américains pour vivre normalement. Et c’est ce que j’ai adoré : on prend conscience de cette période difficile pour la communauté noire, et cela bouleverse les codes et les mentalités.
« Le vent est en train de tourner, et ils le savent. Les lois changent. La société change. D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y avait deux Noirs pour porter le cercueil de notre président. Peut-être qu’un jour des Blanches iront faire le ménage chez des Noirs ! »